A TABLE ! Cultiver et manger,

les deux mamelles de la dystopie ?

 

« Dis-moi ce que tu manges, je te dirai qui tu es. »

Le gastronome Jean Anthelme Brillat-Savarin (1825)

 

 

Introduction

Le lien entre alimentation et identité est anthropologiquement et sociologiquement prouvé... Appliqué à notre futur alimentaire tel qu'il est projeté dans les films de science-fiction, cet aphorisme amène à un constat désespérant : dans le futur nous ne serons plus grand chose, entre standardisation, décomposition et artificialisation ! Ces films questionnent le progrès et l'environnement en y projetant les peurs contemporaines quant à notre rapport au monde. Si durant longtemps ce questionnement portait sur l'idée d'une surpopulation imminente avec son corrolaire, la pénurie alimentaire, les tendances actuelles tournent plutôt autour de la bio-ingénerie alimentaire, de la rationalisation de la production et du statut social du repas.

Notre étude de cas portera sur le film de Richard Flecher, Soleil vert de 1973. A partir de là nous verrons comment le cinéma de Sf pense l'agriculture de demain et comment la malbouffe d'aujourd'hui semble être notre horizon alimentaire.

 

Avertissement : nous inaugurons une nouvelle forme d'articles, plus courts, sur des sujets plus pointus. Il n'y aura qu'une seule étude de cas.

 


 

I- ETUDE DE CAS : SOLEIL VERT

 

 

Introduction

Commençons par deux extraits du film. Dans le premier, Franck Thorne (Charlton Heston) et Solomon 'Sol' Roth (Edward G. Robinson) partagent un repas composé de 3 feuilles de salade, quelques légumes et une pomme. Cette scène (magnifiée par l'économie de dialogues et un très belle bande-son) est entièrement dédiée au bonheur perdu du plaisir d'un véritable repas. Dans le second, Sol est euthanasié et, pour adoucir ses derniers instants, des images de la Terre d'avant, emplie d'arbres, de ruisseaux, d'animaux lui sont projetées...

(1) Dans une scène, le héros, Curtis (Chris Evans) relate des actes de cannibalisme dans les wagons des "pauvres".

 

(2) ...et du Malthusianisme, élément plus important dans le livre puisque Harry Harrison prônait la pilule et le contrôle des naissances ce qui le mettait en opposition face aux positions conservatrices dominantes de l'époque.

(3) Dans cette série de films, la nourriture, l'eau et l'essence sont les 3 ressources précieuses... Ainsi dans le 2nd film, (Mad Max 2, le défi , Georges Miller, 1982) Max partage avec son chien... des boites de nourriture pour chien !) ;

 

(4) Agriculture, vers la fin du droit du sol ? Dans La Méthode Scientifique, émissionn de Nicolas Martin sur France Culture, janvier 2020 : ECOUTER.

(6) Mais cette cantine sert à faire avaler aux travailleurs une drogue accroissant la productivité, au détriment de leur santé.

 

(5) Selon la FAO, 1kg de sauterelles à la même apport en protéines qu'1 kg de bœuf... mais avec un besoin en eau faible et 8 fois moins d'apports végétaux.

(7) cxxxxxxxxxxxxx

Ces 2 scènes, parmi les plus puissantes du film, nous donnent à voir une Terre du passé dans laquelle le lien intime, entre l'homme et la nature, a totalement disparu dans une sombre dystopie.

A- Le film

 

En 1966 Harry Harrison publie Make room ! Make room ! que Richard Fleischer portera à l'évran sous le titre Soleil Vert en 1973 (Grand prix à Avoriaz en 1974). Le film (qui bénéficie de la présence de stars comme Charlton Heston, Edward G.Robinson ou Joseph Cotten) est la 1ère grande œuvre populaire à portée écologique : pour toute une génération c'est le 1er contact avec les questions de surpopulation, d'épuisement des ressources et de menace environnementale. Le contexte est le surgissement des questions écologiques qui vont peu à peu remplacer la peur nucléaire : 1ère réunion du Club de Rome et parution du livre La bombe P de Paul R. Ehrlich en 1968 ; fondation de Greenpeace en 1971 ; publication du rapport Meadows et conférence sur l'environnement organisée par l'ONU à Stockholm en 1972 ; 1er choc pétrolier en octobre 1973...

En 2022 les ressources naturelles sont épuisées. Dans la ville de New-York surpeuplée (44 millions d'habitants) et surchauffée (33° en permanence) les habitants survivent grâce aux pilules nutritives de la société Soylent qui vient de mettre sur le marché le tout nouveau Green Soylent. Un meurtre intervient au sein de cette société et l'enquête est confiée à Thorn (Charlton Heston) qui mettra à jour une vérité inimaginable... La thématique principale du film se résume en une citation de Harry Harrison, l'auteur du roman, « Un jour nous avons possédé le monde, mais nous l’avons dévoré et brûlé ».

Le film a près d'un demi siècle. Si les scènes d'action ou certaines intrigues parallèles sont un peu indigestes, la mise en scène, le jeu des acteurs et le maintien du suspense n'ont pas vieilli et rendent le film totalement appréciable encore aujourd'hui. Ce qui frappe est une forme de cruauté dans les thématiques abordées : la condition féminine (les femmes sont assimilées à des objets) ; l'euthanasie ; la répression...

Pour notre thème, Soleil vert pose la question du rapport des humains à leur nourriture... et le verdict est sans appel : si nous sommes ce que nous mangeons, alors il faut désespérer de la condition humaine !

B- Manger... sans s'interroger

 

1) Manger

Les New-Yorkais de 2022 ne mangent pas à proprement parler, ils alimentent leur organisme avec des protéines sans forme et sans goût : la nourriture est réduite à sa fonction la plus basique.

Poussant la logique de la pénurie alimentaire jusqu'au bout, la révélation finale offre une double métaphore philosophique et politique :

  • poussée à l’extrême, le capitalisme industriel aboutit à l'ultime aliénation alimentaire : le cannibalisme ;
  • une sorte de boucle de civilisation est résolue : le futur rejoint le lointain passé en faisant de l'homme une nourriture (en note : on retrouvera cela dans la film Le Transperceneige de Bong Joon-Ho de 2013(1) ;

 

2) Sans s'interroger

La nourriture n'a plus de provenance identifiable : la société Soylent livre les barres protéinées, censées être issues du plancton, qu'elle fait fabriquer dans des usines ultra-sécurisées. Mais quid des champs ? Des fermes ? Des paysans ? Le film met donc, d'une certaine façon, en accusation les citoyens qui, hébétés et déshumanisés, consomment sans se poser de questions... assurant ainsi la main-mise du système productiviste sur leur vie.

B- Quelle vision du futur ?

 

Le réalisateur a, sagement, pris la décision de mettre au 2nd plan la question de la surpopulation(2) et de privilégier la question écologique. Dans Soleil vert le futur n'est pas celui d'une apocalypse brutale (l'époque des fins du monde par holocauste nucléaire est passée) mais d'une progressive dégradation environnementale accompagnée d'une véritable déshumanisation dont les conséquences sur les 3 piliers du développement durable sont envisagées de manière systémique :

  • le pilier environnemental : la nature ne donne plus que parcimonieusement ses fruits (l'eau et les aliments naturels sont rares) et le réchauffement du climat est une réalité ;
  • le pilier social : la ségrégation sociale s'est accentuée de façon abyssale en faisant de l'alimentation (naturelle / artificielle) un puissant marqueur d'inégalités ; de même le contrôle social est de type totalitaire (surveillance, répression, internement...) ;
  • le pilier économique : la puissante société Soylent est animée par le profit et ne recule devant rien pour en assurer la pérennité ;

 

Les causes de cette lente dégradation sont concentrées dans le générique avec une dénonciation claire de la révolution industrielle et de l'American Way of Life :

A gauche : Thorn dans l'usine Soylent / à droite : surpopulaiton, pénuries, files d'attente.

Le génénrique de Soleil vert sur Daylimotion (cliquez sur l'image).

Conclusion

 

Prémonitoire ou improbable, l'histoire racontée dans Soleil vert a l'immense intérêt d'avoir mis à la portée de tous les préoccupations écologiques naissantes, à travers une dystopie alimentaire. Dystopie ? Cette idée n'est pas partagée par tous puisqu'un entrepreneur américain a développé, dès 2013, un substitut de repas nommé Soylent (dans un clin d’œil assumé au livre et au film) qui est présenté comme une solution démocratique à la pénurie alimentaire... tout en prônant l'usage des OGM et la transformation même du concept de repas, vidé de sa fonction de lien social..

II- Penurie visible, abondance invisible

 

 

Introduction

Hormis les films qui lui sont dédiés (voir par exemple cette liste) l'alimentation n’apparaît qu'en arrière-plan au cinéma. En science-fiction c'est encore plus vrai : soit les protagonistes ne mangent pas, soit production et consommation alimentaires n'apparaissent qu'en filigranes des œuvres. Quoiqu'il en soit, 3 thèmes semblent émerger : la raréfaction des ressources, l'abondance suggérée mais invisible et, enfin, la transformation profonde des agricultures futures.

A- Manger : entre raréfaction des ressources et abondance invisible

 

1)La pénurie alimentaire

Dans de nombreux films se nourrir est devenu très compliqué du fait d'une raréfaction de l'amentation disponible. Les scénarii dystopiques abordent ce thème par 2 biais :

  • la survie dans un monde post-apocalyptique où boire et s'alimenter relèvent du défi permanent, rappelant en cela les temps pré et proto historiques : les exemples sont nombreux, allant de La Route (John Hillcoat, 2009, tiré de Cormac McCarthy) à Mad Max (Georges Miller, 1979)(3)
  • la raréfaction de la nourriture, dans des sociétés futures, soit à cause de l'explosion démographique (cf Soleil vert) soit à cause de la destruction ou de la transformation des écosystèmes : dans Waterworld de Kevin Reynolds (1995) c'est simple, la Terre est (re)devenue l'océan primal, conséquence du réchauffement climatique, transformant l'eau potable en une ressource précieuse et rare ; dans Silent Running de Douglas Trumbull (1972) la Terre est dévastée et ne peut nourrir sa population d'où l'expérience des dômes botaniques dans l'espace ;

2) L'abondance invisible

Dans la plupart des films de Sf les protagonistes évoluent dans un univers d'abondance alimentaire. L'origine de cette abondance n'est pas visible. C'est particulièrement vrai dans les grandes saga galactiques comme Star Trek ou Star Wars. En prenant cette dernière on se rend compte que les milliards d'habitants vivent et se nourrissent sans que l'on sache comment ! En creusant dans l'univers Star Wars on trouve des planètes très homogènes et spécialisées, dont des planètes agricoles. Cette spécialisation planétaire (que l'on trouve également dans Star Trek ou Stargate) reprend et amplifie la géographie agricole mondiale actuelle avec, par exemple, la notion de "greniers à blé".

B- Agricultures du futur

 

1) Recréer des mini-Terres partout

Quand le monde agricole est visible dans les films de Sf il ressemble étrangement à ce que nous connaissons. Dans Star Wars, un nouvel espoir (Georges Lucas, 1977) Luke (Marc Hamill) est paysan et sa ferme est une synthèse de la vision romantique du monde agricole... l'exotisme spatiale en plus : les tracteurs sont antigrav' et les animaux élevés ressemblent furieusement à des bœufs terrestres maquillés pour les rendre exotiques ! Dans la scène du déjeuner avec sa tante et son oncle le rituel du repas est bien là, avec quelques pointes d'étrangeté dans les ustensiles et quelques aliments comme ce jus violet un peu mystérieux.

 

2) La fin du droit du sol ?(4)

Par petites touches visuelles ou par allusion verbales qu'il faut traquer dans les films de Sf on se rend compte que l'agriculture du futur reprend et amplifie les évolutions technologiques (dans la continuité des physiocrates du XVIII° et des révolutions industrielles), faisant du paysan un technicien :

  • la mécanisation devient robotisation (AgriBots) comme les 3 Agribots-compagnons de Freeman Lowell (Bruce Dern) dans Silent Running ;
  • le sol cesse d'être indispensable : cultures hydroponiques, aquaponiques ou aéroponiques : dans le film Les voyageur du temps (Ib Melchior, 1964) apparaissent à l'écran les cultures hydroponiques ;
  • diversification des sources de protéines : algues et insectes(5).

L'univers Star Wars : un droïde agricole.

Silent running : les vaisseaux-dômes ; Freeman dans ses serres avec ses droïds.

 

2) Vision dystopique

Comme à son habitude le cinéma de Sf met, le plus souvent, en avant des futurs où les biotechnologies aggravent, plus qu'elles ne règlent, les problèmes alimentaires. Prenons l'exemple de la scène d’ouverture de Blade Runner 2049 (2017) : l’inspecteur K (Ryan Gosling) est venu retirer (abattre) le répliquant Sapper Morton (Dave Bautista). Denis Villeneuve nous donne à voir l'évolution de l'agriculture dans un futur proche... et ça n'est pas très encourageant : fermes industrielles ; terres dévastées, saturées de produits chimiques ; « paysan » travaillant en combinaison NBC ; vers blancs en guise de nourriture...

Cette vision dystopique traduit les angoisses actuelles à propos de l'agriculture productiviste de demain. Woody Allen (dans Woody et les robots, 1974) utilise la caricature pour en parler :

A gauche, Blade Runner 2049 // à droite Woody et les robots.

Cultures hydroponiques : les voyageurs du temps

III- eLOGE DE LA MALBOUFFE

 

 

Introduction

Nous avons vu un cinéma de Sf très avare de représentations de l'agriculture de demain... par contre il ne l'est pas pour représenter ce que nous mangerons et comment nous le mangerons dans le futur... Une chose est claire : l'acte de manger cesse d'être un plaisir épicurien. Pour devenir quoi ?

BIBLIOGRAPHIE - WEBOGRAPHIE

 

ARTICLES et OUVRAGES

 

Moissons futures, 2050 : la SF française se met à table, anthologie. La Découverte, 2005. Lire un compte-rendu par Thomas MICHAUD dans la revue Quaderni, 2007, n°65. : VOIR.

 

NOVAK, Matt. L'évolution de la nourriture dans l'espace à travers la Science-fiction. Sur Slate.fr (2012). VOIR.


 

Sur le WEB


ATALLAH, Marc. La nourriture de demain: pilules de rêve. Sur le site alimentarium : VOIR.

 

DUNYACH, Jean-Claude. Alimentation et Société. SF : à la table des matières. Sur agroioscience : VOIR.

 

JOURDAN, Vincent. Déjeuner du futur. Sur le blog Le ventre et l'oreille : VOIR.

 

JOUANNEAU, Julien. Les plats du futur au cinéma: bon appétit bien sûr ? Sur le blog de l'Express : VOIR.

 

MADANI, Karim. L’alimentation & le cinéma de SF : La faim justifie les moyens. Sur le blog Silex. VOIR https://silex-id.com/take-your-time/lalimentation-le-cinema-de-sf-la-faim-justifie-les-moyens

 

ROPERT, Pierre. Quand l'écrivain de science-fiction Isaac Asimov prédisait le futur. Sur le site de Franceculture : VOIR.

 

SANTA LUIA, Salim. Quand la SF passe à table. Sur Uzbek&Rica : VOIR.

 

Quand la science-fiction interroge notre rapport à l’agriculture. Table ronde de 2018. Compte-rendu par Marie-Laure HUSTACHE sur le site agrIDee : VOIR.

 

Un billet sur le site de Médiapart. Science fiction et alimentation, les conséquences du productivisme acharné à travers le film Soleil vert et le roman Le dernier Homme : VOIR.

 

Le fanzine Marmite & Micro-Ondes : VOIR.

 

La bouffe dans la SF. Sur le forum du site Lagardedenuit : VOIR.

 

What science fiction tells us about the future of food ? Sur le site de la RTE : VOIR.

 

 

 

A PROPOS DE L'ALIMENTATION DE DEMAIN


 

BRETEAU, Pierre. Pourquoi nous mangerons tous des insectes en 2050. Sur Slate.fr : VOIR.


CHOPPIN, Damien. La ferme de demain sera équipée de robots et survolée par les drones — voici ce que les startups de l'agritech préparent : VOIR.

 

GOMBERT, Hélène. La nourriture du futur sera-t-elle en poudre  ? Sur le site Usbek&Rica : VOIR.

 

RASTOIN, Louis. Comment nourrir 9 milliards d’hommes en 2050 ? Interview pour agrobioscience.org : VOIR.

 

TREMBLIN, Gérard et MOREAU, Brigitte. Faut-il vraiment manger des algues ? Sur Slate.fr : VOIR.

 

SCIENCE ET VIE HORS SERIE agriculture du futur n°274, 2016.

 

Vertical farming – science fiction or the future of agriculture ? VOIR.

 

Rapport de la FAO : comment nourrir le monde en 2050 : VOIR.


 

ECOUTER

 

Agriculture, vers la fin du droit du sol ? Dans La Méthode Scientifique, émissionn de Nicolas Martin sur France Culture, janvier 2020 : ECOUTER.


 

REGARDER


L'alimentation 2.0 : science-fiction ou réalité. Conférence du 20 janvier 2020 : REGARDER.


 

A PROPOS DES FILMS CITES

 

  • Soleil vert

Sur le site Usbek&Rica. Faut-il (re)voir Soleil vert ? VOIR.

Une analyse du Monde : VOIR.

Sur DVDClassik, une critique : VOIR.

 

  • Silent running

Sur Dvdclassik : VOIR.

 

  • Le transperceneige

Une analyse sur Actuciné : VOIR.
 

La palme de la dystopie alimentaire revient à Terry Gilliam qui, dans Brazil (1985) nous invite au restaurant. Tout paraît à sa place : un serveur français, une table magnifiquement dressée, une carte de menu... mais :

 

1) La fin d'un marqueur de civilisation ?

 

Cuisiner ou déguster un bon repas à table sont des comportements sociaux en voie de dispariton dans les sociétés futures. Les auteurs poussent encore une fois au plus loin des logiques déjà en oeuvre : ainsi en France, certes, nous sommes les champions du monde du temps passé à manger (2h13 mn par jour contre 1h01 pour les américains), mais le repas à table (salon, salle à manger, cuisine) recule progressivement alors que progresse la street food par exemple. On se rappelle de Rick Deckart (Harrisson Ford) qui expédie ses nouilles chinoises debout sous la pluie dans Blade Runner.

Dans Matrix Reloaded (Lana et Lily Wachowski, 2003) le Mérovingien (Lambert Wilson) encense l'art de la table avec un château Haut-Brion 1959... face à Néo (Keanu Reeves), Morphéus (Laurence Fischburne) et Trinity (Carrie-Anne Moss) totalement imperméables, habitués qu'ils sont aux bouillis et autres nutriments primaires :

Dans un registre différent nous avons la nourriture instantanée : dans Le Cinquième élément (Luc Besson, 1997) Leeloo (Mila Jovovich) dépose un cube dans un four et en ressort, 2 secondes plus tard, un poulet roti ; dans Retour vers le futur 2 (Robert Zemeckis, 1989) Jennifer McFly (Elizabeth Sue) est "Un chef car personne n'hydrate une pizza comme toi !" :

Plus fort encore : la nourriture dématérialisée ! Dans Star Trek, existent des réplicateurs ou synthétiseurs de nourriture évacuant ainsi la question de la production et du stockage de la nourriture :

En fait, outre la fonction d'avertissement dystopique, ce discours réduisant l'acte de manger à l'absorbtion de protéines doit beaucoup aux débuts de la conquête spatiale qui ont ancré une vision « scientifique » de la nourriture dans l'aventure science-fictionnelle. En effet, dans les années 60, les astronautes américains jeûnaient, à la fois pour ne pas avoir à emporter un surpoids de nourriture, mais aussi pour ne pas avoir à se rendre aux toilettes, tout simplement ! Dans les années 70 des toilettes et des nourritures adaptées permettent de réduire ce jeûn. Ensuite les astronautes se mettent à manger des produits déshydratés ; des produits thermostabilisés prêts à consommer ; des viandes ionisées ; etc. Bref, une nourriture efficace mais peu plaisante. Cela a marqué l'imaginaire de l'alimentation dans le futur.

 

2) Familiarité et rétrofuturisme

Pour gagner l'adhésion du spectateur à l'univers fictif qui lui est proposé rien de mieux que de recycler ce qui lui est familier. Il en va ainsi du repas dans nombre de films de Sf, souvent présenté selon les codes du rétrofuturisme :

  • La familiarité peut être dans les lieux comme le montre cette scène extraite du 5° élément :
  • autre lieu familier, la cantine : dans Outland (Peter Hyams, 1981) la cantine des mineurs est un self-service classique(6) ; la cafétéria du Nostromo (Alien le 8° passager, Ridley Scott, 1979) est un lieu familier car, même s'il n'est pas aisé d'identifier ce que l'équipage mange, la cafetière, elle, nous rattache à du connu, du solide (on sent même le café non ?).

  • partout dans Blade Runner ou Le Cinquième élément on voit des boutiques ambulantes (bars à nouille) tenues par des asiatiques vendant sushi et nems ;
  • Dans Star Wars, l'attaque des clones (Georges Lucas, 2002) Obi Wan (Erwan McGregor) va dans un food truck tenu par Dex (Ron Falk), typiquement US :
  • La familiarité peut être enfin dans le produit consommé : dans la fusée Discovery (Stanley Kubrick 2001 : l’odyssée de l’espace, 1968) les 3 astronautes mangent des sandwiches, forme hautement familière de la nourriture rapide ; on a aussi le placement de marques qui alimente cette familiarité : Budweiser et Coca dans Blade Runner ou Mac Do dans Le Cinquième élément.

 

3) Un marqueur social

C'est un grand classique, la nourriture sert, dans les fictions, à définir les personnages : le sauvage / le cultivé ; le familier / l'inconnu ; le riche / le pauvre ; etc.). Le cinéma de Sf l'utilise pour distinguer l'humain du non-humain : Jabba The Hutt de la première triologie Star Wars dévorant, vivantes, des sortes de grenouilles ; Rachel, la réplicante de Blade Runner, révulsée à l'idée de manger des huitres et ravie de manger une bouilli d'insectes ; etc.

Mais la nourriture est aussi très souvent utilisée, classiquement, comme un marqueur social pour ségréguer riches et pauvres, en opposant pénurie et malbouffe de la masse à l’abondance quasi orgiaque. Les films-exemples sont nombreux : retenons les situations de ségrégation alimentaire entre les wagons du train de Snowpiercer (Bong Joon-Ho, 2013) ; les habitants des villes haute / basse de de Metropolis (Fritz Lang, 1925) ou de L’Âge de cristal (Michael Anderson, 1976) ; ou encore la hiérarchie des districts et du Capitole de Hunger Games (Gary Ross, 2012) ;

 

CONCLUSION GENERALE

"Dis-moi ce que tu manges, je te dirai ce que tu es", cet aphorisme qui nous a servi de fil conducteur renvoie aux inquiétudes contemporaines liées à l'alimentation et à l'agriculture dans le cadre des réflexions sur le développement durable. Le cinéma de Sf n'en a pas fait un thème majeur mais ce qui est montré de notre futur alimentaire est à comprendre au travers des 3 piliers du développement durable :

  • le pilier économique : soit il faut craindre la pénurie, soit la question alimentaire est réglée par une abondance aussi inexpliquée que mystérieuse ;
  • le pilier social : la nourriture reste le marqueur social qu'elle a, quasiment, toujours été, encore accentuée par le courant dystopique pris par la Sf des années 80 ;
  • le pilier environnemental : biotechnologies alimentaires inquiétantes, industrialisation de la production agricole, dérèglement des écosystèmes... telles sont les visions du futur de notre alimentation

Finalement, nous serions, au pire, des "sauvages" luttant pour manger ou, au mieux, des individus ayant perdu le plaisr de manger. Pas très encourageant tout cela ! Alors à quand un Ratatouille (Brad Bird et Jan Pinkava, 2007) cosmique ou un Festin de Babette (Gabriel Axel, 1987) galactique ?